L’avenir de la flore de Grignon

Point de vue de Philippe JAUZEIN, le 2 septembre 2021

Documentations sur la flore du parc

Différents documents sont accessibles sur le site de l’association Arbre de fer. En particulier, on peut y consulter une florule de Grignon, et des études sur les orchidées du parc (Frédéric ARCHAUX). Autre étude réalisée : étude paysagère par Ariane LENHARDT.

On peut également consulter les fiches ZNIEFF, le document de l’ONF  “Forêt de l’INA Paris-Grignon”, ou le document de l’APPVPAGrignon – Les patrimoines“.

Le site du CBNBP donne divers renseignements.

Sinon, je n’ai aucun document complet actualisé sur la flore du parc. Les commentaires fournis sur le document ZNIEFF “Bilan des connaissances” sont très clairs : très peu de données disponibles. Cependant, Jean-Pierre HENRY (maintenant à la retraite) avait encadré une unité de valeurs sur la biodiversité à Grignon pendant plusieurs années, afin de combler un peu ce déficit ; des documents d’étudiants ont certainement été rédigés à cette occasion… Mais la politique d’AgroParisTech de faire table rase du passé a sans doute destiné ces travaux à une triste poubelle !!

La fiche ZNIEFF (“Parc de Grignon”) cite les trois dernières espèces patrimoniales qui ont été signalées récemment (les autres plantes rares ayant disparu depuis longtemps) :

  • Carex mairei : Autrefois présente au niveau des sources de la rive droite, sous la Défonce : maintenant disparue par eutrophisation du milieu !
  • Ranunculus parviflorus : Encore présente assez récemment dans l’allée de Thiverval : réapparue grâce aux perturbations occasionnées lors des travaux de débardage après la tempête de 99. Malheureusement, l’espèce n’a plus poussé depuis quelques années : elle était liée aux parcelles cultivées dans cette zone, depuis longtemps transformées en prairies ! Cette espèce annuelle pourrait très bien regermer à condition de lui offrir un milieu très ouvert par travail du sol.
  • Tulipa sylvestris : Espèce archéophyte pouvant dater de la construction du château, restreinte, en Ile-de-France à quelques parcs gérés de façon extensive. Il s’agit donc de la seule espèce protégée encore présente sur le site ! Elle est abondante dans l’Arboretum et le Jardin anglais, mais ne fleurit que très peu à cause du milieu ombragé, et surtout de l’absence de perturbations du sol.

J’ajouterais Physalis alkekengi var. alkekengi, archéophyte vivace souvent lié à des vignobles. C’est la seule station connue d’Ile-de-France ! Il s’agit sans doute d’une espèce relictuelle d’une parcelle de vigne implanté sur le flanc droit, sous la Défonce. Elle végète difficilement parmi les plantes nitrophiles en sommet de pente. Faute de perturbations du milieu, son avenir y est fortement compromis.

En conclusion sur ces espèces rares, il faut donc insister sur le fait qu’il s’agit d’archéophytes, c’est-à-dire de plantes anciennement introduites par l’homme. Une révision des listes de protection risque d’ailleurs de les écarter. Ces espèces ne peuvent se maintenir que dans des milieux cultivés de façon très extensive ; elles nécessitent donc une gestion impérative, au moins tous les deux ans.

Bilan général de la flore de Grignon

Autrefois très riche, le parc de Grignon a vu sa flore s’appauvrir d’années en années, suite à plusieurs facteurs anthropiques:

  • intensification agricole ayant abouti à la disparition totale de la flore messicole
  • déprise agricole avec abandon d’anciennes parcelles : vigne de la Défonce (très ancien), champs de l’allée de Thiverval…
  • eutrophisation généralisée, particulièrement forte sur la Défonce, et dans le Ru de Gally (exutoire de la station d’épuration de Versailles)
  • drainage et rectification du cours du Ru de Gally maintenant rectiligne : disparition ancienne des tourbières (marais de Chantepie), et suppression récente des étangs qui avaient été créés sur d’anciennes zones de méandres
  • absence de gestion de la forêt, avec surtout limitation extrême des ourlets.

Deux exemples illustrent la mauvaise gestion du parc :

  1. La fiche ZNIEFF indique comme milieu intéressant la “hêtraie à buis”. L’ancienne ZNIEFF de type 1 “la Côte aux buis” a été déclassée ! Deux remarques s’imposent. D’une part le Buis y est archéophyte et certainement pas indigène : sans doute introduit à la construction du château ! Ensuite les vieux hêtres de cette zone subissent un dépérissement généralisé, certes peut-être initié par le réchauffement climatique, mais montrant que cette essence n’est pas à son optimum sur ce flanc Sud. Le buis n’étant pas géré, était devenu tellement dominant dans le sous-bois de la “Côte aux Buis” qu’il en a supprimé toute la flore. Cependant, l’invasion récente de la Pyrale du buis a temporairement modifié la donne: tous les buis ont été déplumés… difficile de prédire l’évolution du sous-bois ; espérons qu’au moins les champignons (la richesse fongique y était importante) retrouverons un milieu plus favorable. Plutôt qu’une hêtraie dépérissante, il vaudrait mieux sauver la Chênaie pubescente potentielle sur le rebord du plateau.
  2. Après la tempête Lothar de 99, les grandes clairières ouvertes en sommet de pente de la rive gauche auraient pu bénéficier d’une restauration des allées. L’abandon a en fait bénéficié aux cultivars de Sycomore devenus invasifs ! Ce problème devrait être pris en compte. Dès que les espèces locales calcicoles montrent une faiblesse, le Sycomore s’impose : chute des chênes pédonculés en 99, mais aussi dépérissement des hêtres en rive droite, mortalité des Ormes champêtres en rive droite sous la Défonce liés à la graphiose (et peut-être mortalité prochaine des frênes).

Le seul milieu qui nous paraît encore digne d’intérêt serait les lambeaux de Chênaie-Frênaie à Carex pendula, avec une abondance de Dipsacus pilosus ; ils s’installent au niveau de chaque source en rive droite. C’est à ce niveau que se trouvait autrefois la station de Carex mairei, seule espèce indigène protégée mais malheureusement éteinte.

Les orchidées peuvent servir de repère ; c’est  la seule famille aillant bénéficié d’une comparaison des données anciennes et récentes. Ainsi, sur 14 espèces signalées dans le parc (17 espèces sur la liste du règlement européen, Annexe B, comprenant les coteaux de Thiverval), 5 espèces ont disparu (plus du tiers) !

Sur les 12 espèces CR (critiques) de la Liste rouge régionale signalées sur Thiverval-Grignon, seulement 2 persistent : Physalis (voir ci-dessus), et Stachys germanica uniquement à Thiverval où elle est très menacée par le golf. Sur les 13 espèces EN (en danger), une seule a été retrouvée récemment (Silene noctiflora : nous ne connaissons pas la station située sur Thiverval). Sur les 15 espèces VU (vulnérables) citées sur Thiverval-Grignon, le conservatoire (CBNBP) n’en a retrouvé que deux sur les coteaux de Thiverval ; nous en avons cependant vu quatre autres, dont deux apparues de façon accidentelle à Grignon : Fumaria vaillantii en bord de route, et Orchis simia dans l’Arboretum en juin 2020.

Sur les 8 espèces protégées, seules restent la Tulipe des bois (protection nationale) et la Renoncule à petites fleurs (protection régionale) : voir ci-dessus.

Reste, à un moindre niveau, la liste des plantes déterminantes pour les ZNIEFF: le conservatoire y a inclus 47 espèces, mais n’en a retrouvé que 10, avec cependant une sous-prospection des coteaux de Thiverval, encore assez riches malgré une dégradation importante par défaut de gestion. Cette liste recoupe les listes précédentes car elle inclut les plantes protégées et beaucoup d’orchidées. Elle n’apporte rien de nouveau par rapport à notre bilan du parc de Grignon.

Que faire ?

Le parc de Grignon est un exemple très démonstratif du désintérêt total de l’administration vis à vis de la préservation de la biodiversité. Sa remarquable flore a presque totalement disparu ! Certaines causes semblent difficiles à compenser ; l’eutrophisation générale nécessite non seulement une volonté, mais aussi de nombreuses années de gestion pour aboutir. Ainsi, on ressent une amélioration de la qualité des eaux du Ru de Gally, moins putrides (avec apparition de Potamogeton pectinatus : enfin une plante à fleurs dans le ru, même s’il s’agit d’une des plus résistantes à la pollution). Il faudrait cependant quelques années de fauche avec exportation si l’on voulait retrouver un semblant de flore riveraine sur ses berges, actuellement occupées par des orties et des ronces.

Réinstaurer une gestion des bois pourrait cependant améliorer la situation. Elle nécessite des moyens importants, pour assurer une gestion sélective adaptée aux milieux : limitation des Sycomores, sélection locale des Chênes pubescents… Mais ce sont surtout les ourlets qui devraient être élargis et régulièrement entretenus par fauche tardive. Ils étaient (quand j’étais étudiant dans les années 70) très riches en orchidées. Diverses espèces intéressantes pourraient y trouver refuge : Daphne laureola, Dipsacus pilosus, Iris foetidissima, Lithospermum officinale, ... En particulier, il faudrait retrouver les clairières calcicoles de la Côte aux buis.

Il suffit de prendre pour exemple l’Arboretum qui, avec une fauche tardive, préserve une belle population de tulipes, et surtout s’est enrichi de nombreuses orchidées: abondance de l’Orchis bouc et de l’Ophrys abeille (apparition une année d’une population de la mutation “bicolor“), belle population de Céphalanthère pâle, réapparition de l’Ophrys mouche (et apparition une année de l’Orchis singe)… Donc, l’amélioration de la richesse des pelouses calcaires est possible.

J’ai aussi connu l’époque où deux étangs hébergeaient une flore riveraine diversifiée. Les bondes existent toujours. On peut rêver à une remise en eaux de ces zones occupées actuellement par des cultures intensives ou des prairies surpâturées.

Conclusion

Je ne suis personnellement pas convaincu que claironner sur tous les médias que le parc de Grignon recèle une biodiversité exceptionnelle soit une bonne chose, tellement ce constat est éloigné de la réalité (pour la botanique). Le déficit de moyens accordés par l’administration à la gestion du site, pour ne pas dire l’abandon total, a provoqué un effondrement en partie irréversible de la diversité végétale. Le parc de Grignon reste cependant un périmètre remarquable par rapport à une relative pauvreté de la plaine de Versailles et de ses environs ; mais il faut concevoir l’ensemble, avec le château, le paysage du val de Gally, la valeur patrimoniale exceptionnelle des fossiles du lutécien (seul domaine méritant un classement), l’arboretum historique…

Cet appauvrissement a logiquement conduit au déclassement de la ZNIEFF 1 de la Côte aux buis, ne laissant qu’une ZNIEFF 2 à peine justifiée par les plantes.

On peut toujours rêver à une restauration partielle de la diversité passée. Mais elle nécessite de tels moyens qu’ils semblent disproportionnés par rapport au bilan raisonnablement souhaitable. Il y a en Ile-de-France tellement d’autres priorités botaniques, bien plus urgentes, qu’il paraît difficile de débloquer les crédits nécessaires. Il faut se faire une raison, dans une région où l’urbanisation galopante relègue la protection des derniers milieux patrimoniaux au second plan. Il suffit de voir, à proximité du parc de Grignon, les coteaux de Thiverval, nettement plus patrimoniaux, délaissés par la municipalité, et surtout récemment défigurés par un golf ! Scandale malheureusement classique dans la région.

Cependant pourquoi ne pas tenter, si les occupants du site l’acceptent, d’en faire une zone expérimentale de gestion de la biodiversité ordinaire ? Même si je suis personnellement très réticent à cette approche, mon attachement à Grignon, et ma nostalgie d’une richesse révolue, me convainquent qu’il faudrait y soutenir un projet.